Le 12 décembre 2015, après deux semaines de négociations laborieuses, les représentants de 195 pays ont adopté l'accord de Paris qui remplacera le protocole de Kyoto après 2020. Cet accord juridiquement contraignant est une réponse rationnelle de l'humanité à la menace qui pèse sur notre destin commun. La vision et la détermination de l'accord montrent qu'il est véritablement historique. Mais la route est encore longue et la coopération internationale, plus que jamais nécessaire face au risque de conflits climatiques, reste difficile.
Alors que les politiques considèrent sans doute qu’ils ont fait tout leur possible à Paris pour obtenir un résultat optimal, les écologistes le trouvent insuffisant. Et pourtant ! Depuis que le changement climatique est devenu un problème mondial dans les années 1990, les négociations ont été compliquées par des conflits d’intérêts entre pays riches et pauvres, mais aussi entre sensibilités politiques. La variété des représentations et la divergence des intérêts a induit beaucoup de frustrations et de difficultés dans les efforts pour coordonner l’adaptation au changement climatique à l’échelle mondiale. En conséquence, pendant longtemps on a fait peu de progrès, et le délicat équilibre entre développement et protection de l’environnement, entre les avantages du mode de vie moderne et une moindre consommation, s’est avéré très difficile à obtenir. C’est précisément pour cette raison que l’accord de Paris est si important : il représente d’abord une première réussite dans la prise en compte et la coordination des intérêts et préoccupations de toutes les parties en présence. Mais le terrain d’entente reste limité et il y a encore un long chemin à parcourir.
Pays riches, pays pauvres
Les êtres humains ont été lents à admettre la réalité du changement climatique et restent peu disposés à réagir, mais sa menace est claire. La conséquence la plus immédiate est la hausse du niveau des mers, qui risque de submerger de petits pays insulaires et les zones côtières d’un certain nombre d’autres pays. La hausse des températures mondiales pourrait également conduire à des changements imprévisibles sur le climat et l’environnement, avec dans certaines zones des pénuries d’eau douce, une réduction des rendements agricoles et une plus grande fréquence des événements météorologiques extrêmes, ainsi que des migrations climatiques à grande échelle. Tous ces changements auront un impact considérable sur l’ordre mondial : d’une part, les capacités de gouvernance interne des pays seront affectées, et sans doute réduites, par les tensions sociales et économiques qui en résulteront ; par ailleurs, la compétition pour les ressources opposera les pays entre eux et on peut craindre une intensification de la conflictualité entre États. En outre, les pays du sud, qui sont pauvres et ne disposent pas de technologies de protection de l’environnement, devront supporter l’essentiel du choc climatique.
Pour éviter la menace de conditions météorologiques désastreuses, le premier enjeu est de ralentir et si possible stabiliser le réchauffement global, ce qui suppose de développer des modes de vie et de production associés à de faibles émissions de carbone. L’un des objectifs de l’accord de Paris est de contenir la hausse de la température planétaire moyenne bien en-deçà de 2°C au-dessus des niveaux pré-industriels, et si possible à 1,5°C. Mais en fait, si les pays continuent à émettre du carbone dans l’atmosphère au rythme actuel, l’objectif de 2°C ne serait certainement pas atteint, ce qui causera des dommages inconcevables à l’environnement. En d’autres termes, on sait déjà que les pays devront faire beaucoup plus que ce à quoi ils se sont déjà engagés, si l’on veut atteindre les objectifs de l’accord.
Face à une menace qu’aucun pays ne nie et alors que les dirigeants sont bien conscients des mesures nécessaires pour réduire le changement climatique, pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour élaborer un début de réponse politique ? La question se résume à la réticence des nations à assumer davantage de responsabilités, certains pays prenant une attitude attentiste dans l’espoir de profiter des efforts des autres. C’est dans l’impasse entre pays développés et pays en développement que le conflit est le plus apparent. Dans une perspective historique, les pays développés, ayant achevé le processus d’industrialisation plus tôt, devraient assumer une plus grande responsabilité ; dans le même temps, il est vrai aussi que les émissions des pays en développement surpassent aujourd’hui celles des pays développés. Pour équilibrer les intérêts des deux groupes, l’accord stipule que les Parties devraient agir pour protéger le système climatique sur la base de « responsabilités communes mais différenciées ». À Paris, les pays développés ont largement accepté, d’ici à 2020, de fournir $100 milliards par an en aide aux pays en développement pour la mise en œuvre de nouvelles procédures destinées à réduire le changement climatique. Le principal enjeu aujourd’hui, c’est que toutes les parties doivent cesser de se plaindre et de montrer les autres du doigt. Trop souvent les pays accusent les autres pour fuir leurs responsabilités, et un temps précieux pour la résolution de problèmes est gaspillé en chamailleries.
Des mesures efficaces supposent des sacrifices, qui ne devraient être faits que sur la base de responsabilités équitables. Ce que les réductions d’émission signifient pour les pays en développement, c’est que leurs citoyens vont devoir réduire leurs espoirs de voir s’améliorer leurs conditions de vie, qu’ils ne pourront pas accéder à des modes de vie aussi consommateurs d’énergie qu’en Occident, qui permettent par exemple à chaque ménage de posséder une voiture. Un mode de vie à faible teneur en carbone est une valeur à préconiser, une valeur durable. Ce qu’elle produit sur le long terme réduit son coût. Néanmoins, la transformation d’une économie fondée sur le carbone en une économie faiblement émettrice est coûteuse : les entreprises doivent endosser le coût de la réduction des émissions ; les citoyens doivent réduire leur consommation et réduire leurs espoirs d’améliorer leur qualité de vie. En outre, de nouvelles technologies vertes doivent être adoptées, ce qui a un coût. À cet égard, l’Occident devra fournir plus de financement pour les pays en développement et transférer ses technologies dans des conditions plus favorables. Il est juste pour les pays en développement de faire des sacrifices, si les pays développés sont disposés à fournir des fonds.
Débats politiques
Il y a un certain nombre de points de vue divergents sur la question du changement climatique. Mais une chose est claire, un fait est désormais reconnu et par les scientifiques, et par les politiques : le climat change, et ce changement est principalement dû aux activités humaines. Face à des preuves scientifiques accablantes, seule une autruche oserait enfouir sa tête dans le sable, et seuls ceux qui veulent fuir leur responsabilités s’arrangent encore pour trouver des excuses. La menace est certaine. Le changement climatique n’est plus un problème purement scientifique ou environnemental, c’est désormais une question politique sur laquelle repose la survie de l’humanité, et qui nécessite d’urgence des efforts politiques pour le partage des responsabilités et des actions.
Certes, il y a des écologistes radicaux qui prônent un retour à une illusoire « Nature », dans lequel aucune intrusion humaine n’est autorisée et où manger de la viande est qualifié de crime contre environnement. La plupart des écologistes, cependant, agissent à partir de préoccupations pragmatiques et honnêtes, et on ne peut guère les taxer d’égoïsme. Le monde devrait être moins se méfier des détournements de l’agenda par les écologistes que par les parties intéressées qui, pour esquiver leurs responsabilités dans la protection de l’environnement, empêchent le public de comprendre pleinement la menace du réchauffement climatique et assourdissent les appels à la protection de l’environnement.
Dans le débat entre la gauche et la droite, la droite a apporté quelques idées précieuses. En dehors de la prévention des changements climatiques, elle a également suggéré des mesures pour favoriser mieux une meilleure adaptation et une mitigation des risques, avec des solutions de marché comme les permis d’émissions, ou encore le développement de la géo-ingénierie. Néanmoins, il est illusoire de penser que le marché pourrait être la solution idéale au problème. De l’avis des économistes, le réchauffement climatique est l’exemple même d’une défaillance du marché : les responsables des émissions tirent des avantages de leurs activités économiques, tandis que le coût retombe sur l’écosystème mondial et la société. Les effets négatifs des gaz à effet de serre sont donc « externes » au marché – ce sont précisément ce qu’on appelle des externalités négatives. La seule solution à ce problème consiste à rendre les agents économiques – entreprises et individus – comptables du changement climatique et à les contraindre à le prendre en considération dans leurs décisions de production et de consommation. En attendant une hypothétique taxe carbone mondiale, une partie de cet objectif peut être réalisé grâce à l’éducation et à une prise de conscience mondiale. Les politiques, quelle que soit leur sensibilité, ont le devoir d’avertir la population des risques du changement climatique.
Une nouvelle perspective de gouvernance mondiale
Il est très probable que le changement climatique contribuera à reconfigurer la politique internationale au XXIe siècle, ne serait-ce que parce qu’il pose de graves problèmes aux concepts classiques de la souveraineté nationale, et force les nations à prendre une action concertée et à renoncer à leurs propres intérêts égoïstes. Une des grandes énigmes de la mondialisation est la divergence entre intégration socio-économique et non-intégration politique. Le changement climatique, provoqué par toutes les nations du monde, a des implications universelles. Toutefois, les pays sont incapables de faire des efforts rationnels et concertés. Toutes les voix n’ont pas la même portée, et les discussions s’engluent souvent dans d’interminables querelles où chacun campe sur ses petits intérêts. Cela nécessite une réforme de la gouvernance mondiale et une recherche démocratique et rationnelle de la meilleure solution possible.
Dans un monde idéal, pour lutter contre le réchauffement climatique, les changements dans la gouvernance devraient tendre vers l’établissement d’une sorte de « gouvernement mondial » kantien, à côté duquel de grandes ONG environnementales pourraient jouer un rôle complémentaire. Mais bien que l’humanité ait atteint un degré élevé de civilisation au XXIe siècle, la perspective de former un gouvernement mondial œuvrant pour le bien commun est toujours inaccessible. Pour l’instant, l’ancien système de gouvernance mondiale, dominé du point de vue économique, social ou environnemental par l’Occident, est tombé en décalage avec les réalités du monde d’aujourd’hui. Quand a éclaté la crise financière de 2008, face à des défis sans précédent, les pays occidentaux ont suggéré de renforcer le rôle du G20. Toutefois, alors que les pays retrouvaient la santé à des rythmes différents, avec les États-Unis en tête, les appels à réformer la gouvernance mondiale se sont raréfiés. Aujourd’hui, tout ce que nous pouvons faire est d’optimiser les structures actuelles et de renforcer la coopération.
Car le refus de coopérer risque non seulement d’accélérer le changement climatique, mais aussi de donner lieu à des conflits. La menace du changement climatique a augmenté en effet les facteurs de risque dans la compétition mondiale. Les pays développés se sont préparés en prenant de l’avance dans les nouvelles formes d’énergie et les technologies faiblement émettrices de carbone. À l’avenir, la clé du leadership mondial réside probablement dans la capacité de sauver la planète. Il est évident que les pays développés auront l’initiative, au sein de la compétition internationale, d’exploiter les meilleures technologies pour répondre au changement climatique. En revanche, les pays en développement font face à des défis énormes. D’une part, ils doivent poursuyivre leur rattrapage économique et social ; mais ils doivent aussi allouer davantage de ressources pour la R&D dans les technologies vertes, tout comme dans la protection de l’environnement : ces objectifs, à long terme, ne sont pas contradictoires, mais à court-moyen terme ils mettront ces pays dans des situations tendues. L’histoire n’est pas toujours linéaire et progressive ; il y a des revers et des retours en arrière. Alors qu’aujourd’hui la plupart des pays vivent en paix et dans une période de relative prospérité, la pénurie de ressources et les catastrophes pourraient causer des guerres à l’avenir. L’idée même d’une telle possibilité est effrayante. Il est donc essentiel d’insister sur l’importance de rester ensemble et de travailler en étroite collaboration.
La situation en Chine
Dans le débat mondial sur le changement climatique, la Chine est dans une position unique et elle apporte une contribution considérable. Le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon a loué le rôle constructif et actif de Beijing dans la négociation historique de l’accord de Paris. Dans sa Contribution à l’échelle nationale, la Chine s’est engagée à ce que ses émissions de CO2 atteignent leur pic d’ici 2030, sinon plus tôt, mais aussi à fournir des fonds et une aide technique aux pays en développement. Elle a commencé à ajuster sa structure industrielle et énergétique et à transformer son mode de vie et son mode de développement.
Mais un problème majeur en Chine, c’est que le public continue à sous-estimer la gravité du réchauffement climatique. Une responsabilité particulière incombe à l’intelligentsia, qui n’a pas fait l’effort de susciter plus d’engagement. Beaucoup d’intellectuels, favorables à un marché omnipotent, affirment que le réchauffement climatique est une histoire sensationnelle montée de toutes pièces par les gauchistes occidentaux. Paradoxalement, cette attitude joue le jeu des gauchistes chinois qui, croyant à la théorie du complot et s’imaginant que la Chine est toujours lésée, donnent le réchauffement climatique comme un mythe forgé par les Occidentaux, une menace inexistante utilisée par l’Occident pour contraindre les pays émergents à un développement sobre en carbone tout en conservant leur propre avantage. Curieusement, les deux pôles du débat politique en Chine semblent avoir atteint un consensus dans leur indifférence mutuelle au problème du changement climatique. Cela contribue à ce que le public chinois, qui se soucie davantage de ses petites affaires quotidiennes que des grands enjeux mondiaux, ait du mal à changer de voie. Or non seulement une telle attitude peut affecter la coopération de la Chine avec d’autres pays, mais aussi, puisque la Chine est elle-même victime du changement climatique, cette attitude est aussi préjudiciable au pays. Il est nécessaire d’évoluer.
L’accord de Paris montre la volonté de toutes les nations de combattre main dans la main les défis du changement climatique. Mais la dure réalité pourrait avoir raison de cette bonne volonté. Aucune nation ne restera spontanément concentrée sur le réchauffement climatique, face à tous les autres problèmes politiques et économiques intérieurs. La crise de la dette et l’immigration en Europe, les problèmes politiques aux États-Unis, le fléau d’ISIS au Moyen-Orient et l’absence de progrès en dans l’intégration en Asie suggèrent qu’un retour à la normale est en cours… et que la menace de conflits liés au réchauffement se renforce. On peut donc considérer comme une priorité absolue de maintenir l’ordre et la stabilité. Au-delà, il est crucial de maintenir en tête de l’agenda politique les efforts contre le changement climatique.
Celui-ci ne doit plus être considéré comme un simple sujet de débat scientifique, mais comme une question politique d’une ampleur inédite qui mérite un débat de fond et une action résolue de la part des gouvernements. Dans le même temps, et c’est particulièrement vrai en Chine, le débat doit être sorti de la seule responsabilité des gouvernements, ce qui signifie que le public, et pas seulement les politiciens et l’élite, soit impliqué et informé de l’imminence de la menace, au lieu de rester sans rien faire. Le consumérisme a contribué au changement de climat, puisque le seul but de la vie maintenant est la satisfaction des besoins matériels. Il n’est pas hors de propos de prôner à nouveau les vertus traditionnelles telles que la modération, le respect, l’admiration, la considération pour les autres membres de la société et les générations futures et l’éthique intergénérationnelle. Pour que de vrais changements se produisent, les initiatives individuelles sont nécessaires. Seule une combinaison des approches « top-down » et « bottom-up », combinant la gouvernance mondiale et l’action du gouvernement avec une sensibilisation du public et une évolution des comportements, pourra nous aider à sortir vraiment de l’impasse.
Note des éditeurs. Cet article est paru à l’origine dans notre édition chinoise, publiée conjointement avec l’université Jiaotong de Shanghai, SJTU ParisTech Review.
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